Avant de commencer mon histoire, je tiens à vous prévenir, chère lectrice, cher lecteur, que cet écrit, résolument optimiste, débute malgré tout dans la douleur.
Certaines personnes disent que tout changement naît de la souffrance, ou dans la souffrance. Pour moi, qui n'aime pas ce genre de phrases toutes faites, je dois avouer qu'il y a du vrai dans ces propos. Car c'est ainsi qu'a débuté ma renaissance. Et même si je ne souhaite à personne de ressentir une telle douleur, pour rien au monde je ne changerais ce qui m'est arrivé...
Ce récit est l'histoire d'un renouveau. C'est l'histoire de la chenille qui sort de sa chrysalide et devient papillon. C'est le récit d'une prise de conscience...
" Je souffre...
J'ai mal...
Que se passe-t-il dans mon corps que je n'arrive pas à comprendre ?
Depuis que j'ai obtenu mon diplôme d'infirmière il y a environ un an, j'ai toujours travaillé en EHPAD (Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes). J'aime le contact avec les personnes âgées. Je l'ai toujours aimé, depuis que je suis enfant et que nous rendions visite à ma grand-mère qui avait choisi de vivre en foyer logement. J'allais aider le personnel au service des repas et les résidents étaient tellement contents de voir des enfants qu'ils étaient toujours (ou presque) adorables avec nous.
Changer de région était pour moi l'occasion de me rapprocher de ma famille, mais aussi d'essayer autre chose, un service plus technique. Alors voilà. Je me retrouve maintenant en centre hospitalier, dans un service de pointe. Des soins techniques, il y en a un paquet. C'est ce que je recherchais quelque part. Mais j'ai l'impression qu'il n'y a plus de place pour le relationnel. Et pourtant, ici, il y a tant de souffrance que la technique ne fait pas tout ! Que dire à une personne à qui l'on vient de diagnostiquer une leucémie en stade terminal, à qui le médecin n'a même pas eu le courage d'expliquer ce qu'est cette maladie, et qui espère toujours pouvoir guérir alors que pour lui, la médecine ne peut plus rien ? Ce n'est pas à nous, infirmières, de dire à une personne qu'elle va mourir...
Et j'ai mal... Je souffre dans mon corps et dans ma tête. Préparer une injection devient difficile. Je n'arrive presque plus à tirer sur le piston de la seringue. Tenir jusqu'au bout de mon service est un supplice. Je mobilise toute mon énergie pour y arriver, à telle point que je suis vidée en sortant du travail. Conduire pour rentrer chez moi devient un calvaire. J'ai du mal à tenir le volant et je sais que je mets ma vie en danger à chaque fois que je monte en voiture. Mais je ne veux pas m'arrêter. Je ne suis qu'en remplacement ! Alors su je me mets en arrêt maladie maintenant, je crains d'être transférée de service en service par la suite, avec des horaires impossibles qui m'empêcheront de voir mon mari et mon fils.
J'ai constamment l'impression de marcher sur du coton, d'avoir les oreilles qui bourdonnent et la tête qui tourne. Ce n'est pas une sensation désagréable en soi, mais c'est perturbant. Ajoutez-y la douleur, et je crois que je suis à bout...
Aujourd'hui, alors que nous dînions avec mes parents, j'ai été incapable de soulever la carafe d'eau pour me servir. J'ai éclaté en sanglots. Que m'arrive-t-il ? Moi qui ai toujours été une battante, je suis même incapable de remplir un verre ou de donner le bain à mon fils ! Les traitements antalgiques que me prescrit mon médecin n'y font rien. A part me couper l'appétit et me provoquer des douleurs d'estomac, je ne vois pas à quoi ils me servent ! Et je suis obligée de m'arrêter, de rester à la maison, impuissante...
J'ai mal... Depuis trop longtemps... Cela est arrivé lentement, insidieusement.
Les médecins ne comprennent pas ce qui m'arrive.
"On finira par trouver !" me disent-ils. Peut-être ont-ils raison... Mais en attendant, j'ai mal... Je souffre dans mon corps et dans mon esprit.
Dans mon métier, nous sommes habitués à la mort. Nous la cottoyons au quotidien. Mais cette fois, c'est différent... Cette fois, cette mort si souvent vue de près s'invite dans mon miroir. Face à mes mains décharnées, à cette douleur qui me transperce jour et nuit, à cette sensation de fourmillements et de disparition de membres, j'imagine les pires maladies fatales, celles-là même qui me faisaient peur lorsque j'apprenais mes cours pour devenir infirmière. Et pourtant, "non, Madame, ce n'est pas neurologique... Non, Madame, ce n'est pas articulaire... Non, Madame, on ne trouve rien..."
Je n'invente rien, que diable ! Et pour quelqu'un qui a toujours été très résistante à la douleur, arrivant parfois à en faire abstraction pour l'oublier, c'est un comble de souffrir autant !
Comment soigner les autres si je suis moi-même en souffrance ? Comment leur dire que tout va bien se passer pour eux alors que je sais que ce n'est pas vrai... Quelle injustice que cette jeune femme de même pas trente ans doive vivre avec ce diabète qui handicape sa vie. Quelle injustice que cet homme de soixante ans se meure d'un cancer généralisé. Quelle injustice de ne pouvoir leur dire que j'aimerais que les choses soient différentes pour eux.
"Ne laissez jamais vos émotions prendre le pas sur votre travail." nous serinaient-ils à l'école d'infirmières. Mais comment prendre soin de quelqu'un si je ne le fais pas avec ce que je suis ? Je ne veux pas devenir un robot effectuant les soins de manière machinale. Je me suis donnée à corps perdu dans mon travail, prenant sur moi, prenant "en" moi. A tel point que mon corps me dit maintenant "stop !". Mais ça, je ne le sais pas encore... Pour le moment, j'ai mal...
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